#1 BARBE BLEUE
Il était une fois un homme très
riche mais qui, par malheur, avait la barbe bleue, ce qui le rendait
si laid et si terrifiant que tout le monde s’enfuyait en
le voyant. Ce qui le rendait encore plus terrifiant, c’est
qu’il avait eu plusieurs femmes et que l’on ne savait
pas ce qu’elles étaient devenues !
Aussi, lorsqu’il voulut épouser l’une des deux
filles de sa voisine (il n’avait pas de préférence,
les deux étaient ravissantes), aucune n’accepta d’abord.
Ce n’est qu’après de nombreux cadeaux et fêtes
organisées en leur honneur que la plus jeune finit par
accepter.
Quelques temps après le mariage, Barbe Bleue dut partir
en voyage, et il remit les clés du château à
sa femme en lui disant : « tu peux les utiliser toutes,
toutes sauf une, la plus petite. Mais si par malheur, tu ne m’obéis
pas, alors ma vengeance sera terrible. »
Aussitôt après son départ, la femme s’empressa
d’essayer toutes les clés, toutes, sauf la plus petite,
car elle gardait en mémoire la menace de son mari.
Mais les jours passaient et la curiosité se fit de plus
en plus forte : elle décida d’aller voir ce qu’il
y avait derrière cette porte interdite. D’abord,
elle ne vit rien, puis elle vit du sang sur le sol, et se reflétant
dans le sang, alignés contre le mur, les corps des femmes
de Barbe Bleue, égorgées. Terrifiée, elle
lâcha la clé qui tomba dans une flaque de sang. Elle
la ramassa, referma la porte et essaya de nettoyer les traces
de sang sur la clé, mais sans succès : la clé
restait tachée !
Aussi, quand le lendemain, son mari, de retour plus tôt
que prévu de son voyage, lui réclama les clés
du château, elle les lui rendit toutes, sauf une, en espérant
qu’il n’en s’en rendrait pas compte. Malheureusement
pour elle, il s’en rendit compte et il lui ordonna, furieux,
de lui remettre la petite clé.
Après quelques jours, elle fut bien obligée de lui
rendre. Barbe Bleue la prit, l’examina et lui dit :
«Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clé ?
- Je n’en sais rien , répondit la femme.
- Vous n’en savez rien, reprit Barbe Bleue, je le sais bien,
moi. Vous avez voulu entrer dans la pièce interdite ! Et
bien, madame, vous y entrerez et irez prendre votre place auprès
des dames que vous y avez vues.
Elle se jeta aux pieds de son mari pour lui demander pardon mais
c’était trop tard.
- Puisqu’il faut mourir, dit-elle alors, donnez-moi un peu
de temps pour prier Dieu.
- Je vous donne un quart d’heure mais pas une minute de
plus. »
Dès qu’elle fut seule, elle appela sa sœur,
Anne, qui séjournait chez elle, et lui dit :
« Va au sommet de la tour pour voir si nos deux frères
arrivent. Ils avaient promis de me rendre visite cet après-midi.
Et si tu les vois, fais leur signe de se dépêcher
!
Anne monta au sommet de la tour et sa sœur lui criait sans
cesse :
- Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?
- Je ne vois que le soleil qui rougeoie et l’herbe qui poudroie,
répondait-elle à chaque fois.
Pendant ce temps, Barbe Bleue s’impatientait :
- Descends vite ou je monterai là haut !
- Encore un moment, répondait la femme et tout bas, elle
demandait :
- Anne , ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?
- Je ne vois que le soleil qui rougeoie, et l’herbe qui
verdoie !
- Ne veux-tu pas descendre ? criait son mari .
Et la femme répondait :
- Encore un moment, et elle demandait à sa sœur :
- Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?
- Dieu soit loué, répondit sa sœur, je vois
deux cavaliers, ce sont nos frères mais il sont encore
loin ! »
A ce moment là, Barbe Bleue se mit à crier si fort
que tout le château en trembla et la pauvre femme dut descendre.
Elle se jeta à ses pieds pour gagner du temps mais il avait
décidé de la tuer sans plus attendre. Au moment
où il allait lui trancher la gorge, les deux frères
frappèrent à la porte si violemment que Barbe Bleue
arrêta son geste. On leur ouvrit et aussitôt ils se
précipitèrent sur le cruel mari pour lui arracher
son couteau et le transpercer de leur épée. La pauvre
femme, elle, s’évanouit dans les bras de ses sauveurs.
Comme Barbe Bleue n’avait pas de fils, son immense fortune
revint à sa femme qui en fit profiter sa famille et put
se remarier avec un homme fort aimable qui lui fit bientôt
oublier sa terrible mésaventure avec Barbe Bleue.
#2 Gargantua
Merlin l’Enchanteur créa un jour deux géants
dont le premier mot fut : « J’ai faim. » Plus
tard, ces deux géants s’unirent et donnèrent
naissance à un personnage bien connu en France : Gargantua.
(l’écrivain François Rabelais a beaucoup écrit
sur ce personnage.)
Un jour, Gargantua décida de faire une partie de palets
avec le diable. Le palet est un jeu de notre région qui
ressemble à la pétanque et se joue avec des pierres.
La règle est simple : on lance d’abord une petite
pierre. Il faut ensuite lancer les palets le plus prêt possible
de ce premier caillou. Satan était mauvais joueur et essayait
toujours de gagner par la ruse. Gargantua, quant à lui,
n’était pas très adroit : il envoya l’un
des palets sur la ville de La Rochelle. (Une ville proche de la
Vendée, célèbre pour son port et ses deux
tours.) Un bateau qui passait par là fut coupé en
deux, et c’est depuis ce jour que le port de La Rochelle
a deux tours. Comme ses habitants n’étaient pas contents,
Gargantua décida d’envoyer ses palets dans des lieux
plus isolés. On trouve ainsi au Bernard, à Jard,
à Avrillé, des petits villages vendéens,
des dolmens et des menhirs lancés par Gargantua et le diable.
Le diable, qui voulait absolument gagner, décida finalement
de dénoncer Gargantua aux habitants de la ville de La Rochelle.
Les habitants le poursuivirent avec des chiens et Gargantua, effrayé,
continua à laisser tomber des palets dans sa course et
fut chassé loin, très loin d’ici. On n’entendit
plus parler de lui en Vendée. Mais c’est depuis cette
partie de palet mémorable qu’il y a autant de mégalithes
en Vendée.#3 La bête d’Angles
Angles est une petite ville vendéenne du bord de mer où
habitent certains d’entre nous. A une époque, toutes
les filles que l’on pouvait voir dans les rues étaient
laides. En effet, les jolies filles avaient peur de sortir de
chez elles : une terrible bête, un ours immense et effrayant
mangeait les femmes jeunes et belles. L’animal passait ses
nuits au bord de la rivière de Troussepoil qui coule à
Moutiers-les-Mauxfaits.
Tout le monde était inquiet. Les garçons ne trouvaient
plus de filles bonnes à marier. Ils demandèrent
à des gens d’Eglise d’intervenir mais ceux-ci
échouèrent car seul un homme qui n’avait pas
commis de péché depuis au moins vingt ans pouvait
vaincre la bête. Or, ni le prieur, ni le curé, ni
l’abbé n’étaient irréprochables
: l’un était violent, l’autre buvait et le
dernier avait fréquenté une femme.
Finalement, les habitants demandèrent à un vieil
ermite de venir les aider. Un ermite est un homme qui vit seul,
dans un endroit isolé, pour prier. Il avait autrefois été
homme d’église. C’est pourquoi on l’appelait
le père Martin. Il s’était retiré d’Angles
car il trouvait que ce village vivait dans le péché.
Il accepta pourtant de rendre service à ses habitants.
Pendant cinq jours, il se prépara à affronter la
bête puis il se rendit à Angles. L’animal sortit
immédiatement de sa tanière. Le père Martin,
au lieu de fuir, se plaça en face d’elle. D’un
signe de la main, il la mit à terre. Puis elle se laissa
entraîner par le vieux père jusqu’à
l’église, douce comme un agneau, apprivoisée
comme un animal domestique. Quand les jeunes filles le virent
passer avec la bête, elles se moquèrent de lui :
« Père abbé, tu conduis le diable maintenant
? » lui dirent-elles. Il ordonna alors à la bête
de monter sur le toit de l’église et il déclara
: « Désormais et pendant cent ans, tu ne vivras que
de la beauté des filles d’Angles. » Et l’animal
se transforma en pierre ; on peut encore l’observer, perché
sur le toit de l’église. L’ermite se vengea
ainsi de la moquerie des filles d’Angles : elles restèrent
laides pendant un siècle.
Il y a quelques années encore, quand on baptisait une fille
à Angles, on ne passait jamais par la grande porte pour
ne pas que l’enfant devienne laide. On passait toujours
par la petite porte. Mais lorsque vous viendrez chez nous et que
vous rencontrerez des filles d’Angles au collège,
vous pourrez constater que la malédiction a disparu.
#4 LA FÉE MELUSINE
« Chaque semaine, tu te transformeras
en femme serpent, avec ta longue queue d’écailles.
Si par bonheur, tu rencontres l’amour, alors prends garde
car tu devras exiger de ton mari qu’il ne te vois pas les
jours où tu te transformes. C’est à cette
seule condition que tu pourras mener la vie d’une femme
normale et avoir des enfants. Si par malheur la curiosité
de ton mari est plus forte que son amour, alors tu deviendras
serpent errant jusqu’à la fin des temps. Le Château
que tu feras construire porteras ton nom et à chaque nouveau
propriétaire, tu resteras face à la construction
pendant trois jours .Si quelqu’un de ta descendance meurt,
tu hanteras sa forteresse. »
Telle était la terrible malédiction qui pesait sur
Mélusine mais un jour, la chance sembla lui sourire lorsqu’elle
rencontra Raymondin . Celui-ci venait de tuer accidentellement
son oncle au cours d’une partie de chasse aux sangliers
et errait dans la forêt , ne sachant que faire quand il
aperçut, assise près d’une fontaine , une
femme d’une très grande beauté et qui lui
tint ces propos étranges :
« Epousez moi et faites la promesse de ne jamais chercher
à me voir chaque Samedi. Rentrez au château en oubliant
ce qui est arrivé à votre oncle et tout se passera
bien. »
Cette femme mystérieuse, c’était, bien sûr
Mélusine , qui parce qu’elle était fée,
savait ce qui lui était arrivé.
Raymondin suivit ses conseils et quelques jours plus tard, on
retrouva le corps de son oncle à coté de celui d’un
sanglier . On en conclut donc que le responsable de sa mort était
le sanglier et personne n’en vint à soupçonner
son neveu.
Aussitôt, il retourna dans la forêt où il avait
rencontré Mélusine mais tout avait changé.
A la place de la fontaine se trouvait une chapelle et un grand
festin (repas) se préparait. Il prit place à la
table et décida de rester auprès de sa bien-aimée.
Bientôt, des bruits coururent sur le mariage de Raymondin
et de Mélusine. Les gens se demandaient qui était
cette mystérieuse femme mais devant le bonheur de Raymondin,
personne n’osait rien dire.
Quelques temps avant le mariage, Raymondin, sur les conseils de
Mélusine , se rendit au rassemblement des Barons de Poitiers
pour prêter serment au successeur de son oncle, son cousin
, le jeune Comte Bertrand. Pour le remercier de sa loyauté,
on lui demande ce qu’il désirait comme cadeau de
mariage. A la surprise générale, il ne réclame
que la clairière où il avait rencontré Mélusine
et autant de terre que pouvait en contenir la peau d’un
cerf . Or, Raymondin était malin, car à l’aide
d’une peau de cerf qu’il avait coupé en fines
lanières, il parvint à enclore/ encercler l’ensemble
de la forêt de Coulombiers.
Le mariage eut bientôt lieu et Mélusine donna naissance
à dix fils , tous plus étranges les uns que les
autres : L’un avait un œil rouge et un œil bleu,
n autre n’avait qu’une oreille, un autre n’avait
qu’un œil mais avec cet œil il voyait trois fois
mieux que tout le monde, un autre avait une dent plus grande que
les autres…Mais elle les élevait tous avec le même
amour sans se soucier de ce que l’on disait d’ eux.
Un jour, le frère de Raymondin, jaloux de son bonheur,
vint leur rendre visite et fit part à son frère
des rumeurs qui courraient sur Mélusine. L’on disait
que si elle se cachait de son mari tous les Samedis, c’était
pour le tromper ! Raymondin était furieux. Comment pouvait-
on douter de sa bien aimée ? Mais bientôt la volonté
de savoir fut plus forte que sa promesse faite à Méllusine
et c’est ainsi qu’un Samedi, il se dirigea vers la
cabane où se réfugiait Mélusine. Il fit un
trou dans la porte avec son épée pour savoir ce
qui se passait réellement à l’intérieur.
Quelle ne fut pas sa surprise quand il vit sa femme non pas en
train de le tromper mais en train de prendre un bain et sortant
de son bain une queue de serpent
Furieux contre lui- même, il tenta de cacher sa trahison
à Mélusine en rebouchant le trou avec un bouchon
de cire et décida de ne jamais lui parler de ce qu’il
avait découvert.
C’était sans compter sur la cruauté d’un
de ses fils qui mit le feu à l’Abbaye de Maillezais
, tuant ainsi une centaine de moines. Il ne put alors s’empêcher
de reprocher à sa femme les enfants qu’elle avait
mis au monde : « Femme serpent, tu n’as su porter
que des monstres ! »
Mélusine, blessée dans son amour, lui reprocha de
ne pas avoir tenu sa promesse et après avoir embrassé
ses enfants et nourri les plus jeunes, elle s’enfuit, en
laissant à Raymondin, deux anneaux, signes de leur amour.
Et c’est ainsi, que depuis ce jour, une femme serpent hante
le château et ses alentours dès qu’il y un
nouveau propriétaire et un mort.
#5 Le puy de l’enfer
Apolline était une belle jeune fille
habitant les Sables d’Olonne, une ville très touristique
du bord de mer, non loin de chez nous. Elle tomba amoureuse d’un
marin nommé Gautier mais celui-ci ne s’intéressait
pas à elle. Il aimait sa liberté et sa plus belle
femme était la mer.
Pourtant, un jour de tempête, Gautier vit mourir deux de
ses compagnons. Ce fut la seule fois de sa vie où il pleura.
Il dut alors rester un long moment à terre. Il tomba amoureux
d’Apolline qui s’occupait de lui pendant sa convalescence.
Mais la mer lui manquait. Son amie le comprit et elle le laissa
repartir ; mais avant de reprendre la mer, il lui dit : «
Je m’en vais maintenant mais je te promets que quand je
rentrerai, nous aurons un magnifique mariage. En attendant, va
tous les jours en haut de la falaise et murmure mon nom. Tu seras
ainsi la première à me voir revenir. »
Mais le marin ne tint pas ses promesses : il rentra au port en
cachette sans la prévenir. Le jour, il restait discret
mais la nuit, il sortait, s’amusait, buvait et lui était
infidèle. Quand il remonta sur son bateau pour repartir,
Apolline, du haut de la falaise où elle allait chaque jour,
l’aperçut. Elle courut sur le port pour s’assurer
que c’était bien lui mais il ne fit pas attention
à elle.
Désespérée, elle retourna à la falaise
et regarda le bateau partir en murmurant au vent : « Gautier,
Gautier. » Le beau temps se transforma alors en tempête.
Les marins ne contrôlaient plus le bateau, qui fut projeté
sur les rochers. Il se brisa en deux. Un gouffre se forma au milieu
de la roche et celui-ci aspira le navire. Aucun des marins ne
fut sauvé. Les femmes hurlaient. Du port, elles avaient
vu le naufrage.
Mais où était Apolline ? S’était-elle
jetée à l’eau ? En tout cas, on ne la revit
jamais. On appela l’endroit le « puy de l’enfer
» et on raconte qu’au moment des grandes marées,
on entend les gémissements d’un homme qui supplie
son amie de bien vouloir lui pardonner.